Accueillir le discours suicidaire
Pour valider mon DU sur le deuil, en 2013, j’ai écrit un mémoire sur les spécificités du deuil inattendu et accidentel d’un enfant adulte.
Ce sujet émanait d’expériences de terrain. Je vous raconte l’une d’elles.
Suite à un accident, le fils unique d’une dame retraitée est mort.
Quand je la rencontre, elle est en état de choc même si plusieurs semaines sont passées. Je la vois chez elle, toutes les 3 semaines. Elle est tantôt dynamique, éteinte, parle beaucoup ou pas, pleure, dit son désespoir, son manque de goût pour la vie qui l’attend. Pour la 1ère fois de ma carrière se profile l’envie suicidaire qui s’installe dans le temps.
Je me sens très démunie car je me projette dans sa situation, et difficile de trouver des raisons de vivre. Heureusement que je suis supervisée pour me repositionner. La question n’est pas de savoir comment je le vivrais mais ce que je vais mettre en place pour qu’elle puisse à nouveau trouver des projets. Et puis, que faire de cette envie suicidaire en filigrane ? Pour ne pas faire n'importe quoi sur cette question, j'ai suivi un enseignement universitaire gratuit : un MOOC ! Je vous le conseille !
J’aborde la question franchement avec elle. Lors d’un de nos rendez-vous, elle dit qu’elle n’a plus envie de continuer. Je laisse un petit temps de silence, j’inspire tranquillement et en la regardant avec beaucoup de douceur, je lui demande si cela signifie qu’elle ne veut plus vivre. Elle me regarde attentivement et me dit que oui, elle n’a plus envie de vivre.
Alors nous cherchons ensemble ce qui lui a permis de tenir jusqu’ici et elle décide de continuer encore un peu, au moins jusqu’à notre prochain rendez-vous. Pendant plusieurs mois, c’est ainsi qu’elle s’est accrochée. Puis, elle a retrouvé goût à des petits projets et des moments agréables malgré ce drame et cette absence insupportable.
J’ai appris grâce à elle qu’il ne sert à rien de faire taire l’autre en lui disant combien son entourage serait triste. Il est préférable d’accueillir avec fierté la confiance dont il vous honore en vous parlant honnêtement de cette envie suicidaire.